Comment avez-vous vécu la bataille juridique pour que les droits voisins soient appliqués en France ? Et quelles sont les prochaines étapes
du processus ?
La bataille juridique fut d’abord, en ce qui me concerne, un long parcours de trois ans au Parlement européen, en tant que Vice-président de la Commission des Affaires Juridiques (JURI) de l’Assemblée législative de Strasbourg, en 2019. Le rapport de force fut ensuite long à consolider, puis très tendu à faire respecter, une fois le vote en plénière acquis, après la négociation même des trilogies, car le poids insidieux du lobbying continuait de fonctionner à Bruxelles comme à Paris. Mais la transposition française de cette directive (Droits d’auteur, Droits voisins) n’a pas traîné.
La France fut le premier pays européen à faire voter, trois mois à peine après Bruxelles, ce texte qui fait école dans le monde désormais. Mais, si l’étape législative est une chose, c’en est une autre que l’application de la loi. Pour cette deuxième séquence, je veux dire que le poids de l’Autorité de la concurrence fut et demeure indispensable. Dans un premier temps, l’inertie d’un géant américain censé respecter nos lois a conduit un syndicat d’éditeurs à ester devant l’Autorité. Celle-ci haussa le ton. Rien ne bougeant, un deuxième recours aboutit à une lourde sanction : 500 millions d’euros d’amende à l’encontre du récalcitrant, assortie d’une liste d’exigences. C’est à ce moment que s’est constitué notre organisme de gestion collective « Droits Voisins de la Presse » (DVP), dont les adhérents ont pu bénéficier du soutien, aussi impartial fût-il, de l’Autorité par le travail de ses équipes et de son président. Après la sanction, ce fut la surveillance du bon fonctionnement du marché, à travers des « engagements » réclamés au redevable, et dont le respect est aujourd’hui surveillé par l’Autorité à travers un mandataire.
Des négociations sont maintenant engagées. Quelles que soient les impatiences (compréhensibles si l’on admet qu’une loi s’applique et ne se discute pas en démocratie), je remercie l’Autorité de la concurrence d’avoir pris en main avec force et finesse ce dossier. Car si je regarde nos voisins européens, les éditeurs de presse de beaucoup de ces pays sont seuls. Les uns n’ont pas encore transposé la directive dans leur droit national, les autres l’ont fait sans guère d’énergie à faire respecter son contenu. D’autres voient même la légitimité législative de leur transposition attaquée devant la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg. Bien sûr, le juste prix devra devenir la règle entre la presse « fournisseur » et les plateformes « acquéreurs » de contenus. Et pour cela, l’union, la patience qui consolide la force et l’exigence pourront bâtir un marché sain et loyalement équilibré.