Préserver l’animation concurrentielle
au profit des entreprises,
c’est renforcer notre économie

La dimension contraignante, et parfois répressive, du droit de la concurrence à l’encontre des entreprises est probablement celle qui vient spontanément à l’esprit de chacun. Au-delà des sanctions et des mesures contraignantes, la politique de concurrence a cependant un objectif plus large qui consiste notamment à protéger les entreprises vis-à-vis de comportements abusifs susceptibles d’être mis en oeuvre par des acteurs dominants et à prévenir les conséquences néfastes que les opérations de concentration de leurs clients, de leurs fournisseurs ou de leurs concurrents peuvent avoir pour elles.

En veillant à ce que tout le monde ait sa chance et puisse se développer et innover, l’Autorité participe ainsi à soutenir la croissance et le dynamisme économique.

LA LUTTE CONTRE LES ABUS PARTICULIÈREMENT DOMMAGEABLES POUR LES ENTREPRISES

Si les consommateurs subissent des atteintes qui résultent des pratiques anticoncurrentielles, les entreprises, elles aussi, peuvent être affectées et doivent être protégées des conséquences d’éventuels comportements anticoncurrentiels. Certaines ententes, par exemple, peuvent concerner les marchés intermédiaires et conduire à une augmentation du coût des intrants (produits intermédiaires ou matières premières). À cet égard, une étude publiée par le FMI a conclu que le démantèlement des cartels en France permettrait une hausse de 2 % de la productivité1.

Les comportements d’abus de position dominante illustrent aussi particulièrement bien cette nécessité de protection des entreprises clientes ou partenaires vis-à-vis d’acteurs puissants.

Rappelons qu’être en position dominante, si cela reflète les mérites des biens et des services proposés sur le marché, est avant tout une réussite en affaires qu’il faut saluer. Toutefois, ce statut particulier impose des responsabilités particulières, au premier rang desquelles figure l’interdiction d’abuser de cette position de supériorité. La jurisprudence constante de la Cour de justice définit la position dominante comme une « position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs »2.

2 %

C’EST LA HAUSSE DE LA PRODUCTIVITÉ QUE PERMETTRAIT LE DÉMANTÈLEMENT DES CARTELS EN FRANCE.

2022 a été une année record en ce qui concerne le nombre de décisions sanctionnant des abus de position dominante, avec six décisions.

Parmi les types de comportements sanctionnés se distingue notamment, cette année, l’utilisation abusive de moyens non reproductibles par les concurrents.

  • EDF s’est vu infliger, en février 2022, une amende de 300 millions d’euros pour avoir utilisé des fichiers et moyens issus de son ancien statut de monopole historique afin de développer la commercialisation d’offres de marché de gaz et de services énergétiques (Décision 22-D-06 du 22 février 2022).

  • Audiens Santé Prévoyance a également été sanctionnée, en novembre 2022, à hauteur de 800 000 euros pour avoir utilisé les données dont elle disposait en sa qualité de gestionnaire des contrats d’assurance prévoyance et santé complémentaire collective des intermittents du spectacle pour faciliter la commercialisation de l’offre de prestations de gestion de la paie des intermittents du spectacle de sa filiale Movinmotion (Décision 22-D-20 du 15 novembre 2022).

  • Gaz de Bordeaux s’est appuyée sur des moyens humains et techniques hérités de son monopole historique et liés aux TRV, qui n’étaient pas reproductibles par ses concurrents et qui constituaient un avantage concurrentiel, pour mettre en oeuvre une stratégie visant, dans le contexte de l’ouverture à la concurrence des marchés de la fourniture du détail de gaz, à préserver sa position sur ces marchés en orientant vers ses offres de marché la quasi-totalité de ses nouveaux clients. Elle a ainsi été sanctionnée en octobre 2022, à hauteur d’1 million d’euros (Décision 22-D-17 du 11 octobre 2022).

Ces affaires illustrent la tentation que peuvent avoir certains opérateurs jouissant d’un monopole ou quasi-monopole, en raison de dispositions réglementaires ou législatives, d’utiliser les moyens dont ils disposent pour se développer sur des marchés connexes, le cas échéant en favorisant l’activité de leurs propres filiales.

On notera également la sanction, en octobre 2022, d’Essilor, à hauteur de 81 millions d’euros, pour avoir mis en oeuvre une politique commerciale discriminatoire visant à entraver le développement en France de la vente en ligne de verres correcteurs. Les comportements sanctionnés consistaient en des restrictions imposées aux opérateurs de vente en ligne, en matière de livraison, de communication et de garanties. Alors que les sites de vente en ligne proposent une grande compétitivité en termes de prix et répondent à la volonté des pouvoirs publics d’encourager un mode de commercialisation propice à la baisse des prix, les pratiques d’Essilor ont affecté leur capacité concurrentielle et ainsi freiné l’évolution du marché (Décision 22-D-16 du 6 octobre 2022).

LE CONTRÔLE DES RACHATS ET FUSIONS

Des remèdes parfois nécessaires pour préserver les entreprises partenaires ou clientes de la nouvelle entité

Le contrôle des concentrations a un impact crucial sur la vie des affaires.

La finalité d’un tel contrôle est de s’assurer que le rapprochement envisagé ne va pas générer d’atteintes excessives à la concurrence, susceptibles d’avoir des conséquences néfastes non seulement sur les consommateurs finaux (assèchement de l’animation concurrentielle avec risque d’augmentation des prix, notamment) mais aussi sur les entreprises situées en amont ou en aval de la nouvelle entité, ou encore actives sur des marchés connexes. Lorsque les risques sont avérés, la réalisation de l’opération envisagée peut être subordonnée à des conditions, c’est-à-dire à des remèdes qui prennent la plupart du temps la forme d’engagements de la part des parties. C’est la voie qui a, par exemple, été privilégiée en 2022 lors de l’examen du rachat par la Française des Jeux de l’entreprise Aleda, active dans le secteur des solutions globales de caisse destinées aux commerces de proximité et plus particulièrement aux tabacs/presse. Des engagements comportementaux sont en effet apparus nécessaires pour prévenir le risque de mise en oeuvre de plusieurs stratégies de la part de la nouvelle entité qui aurait conduit à l’éviction de concurrents d’Aleda (stratégies de subordination de l’agrément, d’offres couplées, de groupage technologique et de dégradation de l’interopérabilité) (Décision 22-DCC-219 du 14 novembre 2022).

Dans certains cas, la recherche de remèdes adaptés pour contrebalancer les effets négatifs du rapprochement ne peut aboutir et l’ampleur des engagements nécessaires conduirait à vider de sa substance l’opération envisagée. Ainsi, dans le dossier TF1/M6, la puissance de marché des deux acteurs réunis faisait notamment naître un fort risque de hausse des prix des espaces de publicité au détriment des annonceurs ainsi qu’un risque de hausse de la rémunération susceptible d’être exigée par la nouvelle entité auprès des fournisseurs d’accès à Internet, sans que les engagements proposés par les parties ne semblent suffisants pour remédier aux atteintes identifiées. Bouygues a finalement pris la décision de retirer sa demande d’autorisation le 16 septembre 2022 (voir Communiqué de presse du 16 septembre 2022).

APPLICATION DE L’EXCEPTION
DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE :
UN PRAGMATISME PROTECTEUR

L’Autorité a, en dépit des risques concurrentiels qu’elle avait identifiés, autorisé le rachat de Conforama par le groupe But, en appliquant pour la première fois l’exception de l’entreprise défaillante.

Cette faculté particulière a été très peu utilisée en Europe. Depuis qu’elle a reçu en 2009 la compétence de contrôler les concentrations, l’Autorité n’en avait jamais fait application, compte tenu du caractère très strict des critères d’appréciation. De quoi s’agit-il ? Dans des cas exceptionnels, une opération qui porte atteinte à la concurrence peut néanmoins être autorisée, lorsque l’entreprise rachetée est une entreprise défaillante, qu’il n’y a pas de meilleur acquéreur potentiel crédible du point de vue de l’analyse concurrentielle et que l’atteinte à la concurrence n’aurait pas été moins grave si l’entreprise avait disparu.

Dans ce dossier, l’Autorité a conduit son examen avec pragmatisme car cette reprise a permis d’éviter la disparition d’une partie de l’offre, sur un marché déjà fragilisé. Par ailleurs, bien que cela n’entre pas dans les critères d’analyse concurrentielle, cette décision a in fine non seulement permis d’éviter la perte d’actifs productifs sur le marché mais aussi permis de protéger et de sauver des emplois.

La pratique décisionnelle observée dans d’autres pays tend à montrer qu’en période de crise, les autorités de concurrence mobilisent davantage ce mécanisme.

Les nouveaux instruments d’une surveillance accrue

Afin de s’adapter aux réalités des marchés et à l’évolution du monde économique, le contrôle s’étoffe avec de nouveaux instruments complémentaires pour une intervention ex ante.

La nouvelle application de l’article 22 du règlement européen n° 139/2004 sur les concentrations et l’entrée en vigueur des mesures du règlement européen sur les marchés numériques (Digital Markets Act ou DMA) permettent d’élargir le champ d’intervention et vont notamment protéger les nouveaux entrants et les PME.

L’application de l’article 22

Le périmètre du contrôle des concentrations va sensiblement évoluer grâce à une approche renouvelée et élargie de l’application de l’article 22. La mobilisation de cet article, qui permet aux autorités nationales de demander à la Commission européenne d’examiner certaines opérations « sous les seuils », va en effet apporter, à droit constant, la flexibilité nécessaire pour cibler les concentrations problématiques qui auraient échappé à un contrôle.

Cette approche renouvelée de l’article 22 redonne une pleine portée à ce dispositif et répond aux demandes exprimées par plusieurs acteurs, notamment l’Autorité française, de mobiliser l’outil de contrôle des concentrations à l’échelle européenne afin de lutter plus efficacement contre les acquisitions prédatrices ou consolidantes. Ces acquisitions consistent à absorber une entreprise qui serait susceptible de devenir un concurrent important ou à intégrer de jeunes start-up afin de se renforcer sur le marché dominé ou sur des marchés connexes. L’utilisation de cet outil va en particulier permettre de mieux contrôler les acquisitions d’entreprises à forte valeur dans les domaines, par exemple, de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs.

Un premier cas d’application a vu le jour en 2022 avec la demande formulée par l’Autorité de la concurrence auprès de la Commission européenne concernant le dossier de rachat de Grail, entreprise innovante qui travaille à l’élaboration d’un test sanguin de dépistage du cancer fondé sur la technologie du séquençage génomique, par Illumina, une puissante entreprise américaine dans le domaine de la santé (Communiqué de presse, 13 juillet 2022).

L’Autorité se félicite de l’arrêt3 rendu le 13 juillet 2022 par le Tribunal de l’Union européenne qui a confirmé la décision de la Commission d’accepter la demande de renvoi formulée par l’Autorité de la concurrence et à laquelle s’étaient joints plusieurs États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (Belgique, Grèce, Islande, Pays-Bas et Norvège). La procédure est pendante devant la Cour de justice européenne.

L’entrée en vigueur du Digital Markets Act

Nous y sommes ! Le règlement sur les marchés numériques, qui impose des règles aux plateformes numériques désignées comme contrôleurs d’accès, est entré en vigueur le 1er novembre 2022 et en application le 2 mai 2023. Ce règlement vise à empêcher que les contrôleurs d’accès n’imposent des conditions inéquitables aux entreprises et aux utilisateurs finaux et à garantir l’ouverture de marchés numériques. La nouvelle législation va ainsi limiter les barrières à l’entrée des marchés concernés afin que de nouveaux entrants puissent y accéder. Elle met en place un cadre plus favorable à l’innovation, la croissance et la compétitivité en facilitant l’expansion de plateformes de taille plus modeste, de petites et moyennes entreprises et de start-up (Questions et réponses, Europa 31 octobre 2022).

Les grandes plateformes se verront imposer une liste précise d’obligations et d’interdictions et ces règles contribueront à poser un cadre plus favorable au développement d’entreprises de moindre taille qui souhaiteraient faire concurrence aux contrôleurs d’accès sur la base des mérites de leurs produits et services.
Seront notamment interdits :

  • les pratiques discriminatoires d’auto-préférencement, qui consistent, pour un contrôleur d’accès, à favoriser ses propres services ou ceux de ses filiales, au détriment d’entreprises concurrentes, utilisatrices de la plateforme ;
  • le fait d’exiger des développeurs d’applications qu’ils utilisent certains des services du contrôleur d’accès (tels que les systèmes de paiement ou les fournisseurs d’identité) pour pouvoir apparaître dans les boutiques d’applications du contrôleur d’accès.

Si la Commission est seule habilitée à faire appliquer les règles, elle sera en revanche amenée à travailler en étroite collaboration avec les autorités des États membres de l’UE. Les sanctions infligées pourront atteindre jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial d’une entreprise et jusqu’à 20 % en cas d’infractions répétées. En cas d’infractions considérées comme systématiques, la Commission pourra également imposer les mesures correctives comportementales ou structurelles nécessaires pour garantir l’effectivité des obligations, y compris une interdiction de nouvelles acquisitions.

Le DMA et le droit de la concurrence seront deux outils complémentaires, qui se renforcent mutuellement. Le droit de la concurrence s’appliquera aux opérateurs et aux pratiques non couverts par le DMA, et guidera les évolutions futures de ce texte. Symétriquement, la mise en oeuvre du DMA améliorera la capacité de contrôle des concentrations par l’Autorité en permettant aux autorités de concurrence de connaître toutes les opérations d’acquisition des grandes plateformes, qui devront en informer la Commission européenne, sans considération de seuils.

Enfin, le règlement sur les marchés numériques prévoit que la Commission pourra ouvrir des enquêtes de marché, dont l’objectif sera de veiller à ce que les obligations établies dans le règlement soient actualisées au regard de l’évolution constante des marchés.

Avec son entrée en vigueur, le règlement démarre une phase cruciale de mise en oeuvre : les contrôleurs d’accès potentiels devront avoir notifié, au plus tard le 3 juillet 2023, leurs services de plateforme essentiels à la Commission, s’ils atteignent les seuils fixés par le règlement. S’ils sont désignés contrôleurs d’accès, ils disposeront de six mois, soit jusqu’au 6 mars 2024, pour se conformer aux exigences du règlement sur les marchés numériques. La Commission travaille à présent à l’élaboration d’un règlement contenant les dispositions relatives aux aspects procéduraux de la notification.

1/ F. Moreau, L. Panon, « Macroeconomic effects of market structure distortions – Evidence from French cartels », IMF Working Paper, May 2022.

2/ Arrêt de la Cour de justice, 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal BV / Commission, 27/76, EU:C:1978:22, pt. 65 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, TDF, n° 16/15499, pt. 59.

3/ Aff. T-227/21.

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