Une régulation européenne de la concurrence modernisée

Pour faire face aux nouveaux défis de la régulation des marchés en Europe, le droit et la politique de concurrence se modernisent, s’adaptent et s’homogénéisent pour une application encore plus efficace et plus rapide. En France, ces évolutions se sont traduites en 2021 par la transposition de la directive ECN+ qui renforce les pouvoirs et les outils de l’Autorité, la révision du communiqué sur la détermination des sanctions qui constitue une étape supplémentaire importante vers la convergence des règles applicables en matière de sanctions au sein du Marché intérieur, ou encore l’adoption du Digital Markets Act qui assurera une régulation à 360° des grands acteurs du secteur numérique. Sans oublier, des mécanismes de coopération qui ne cessent de se renforcer entre autorités et aboutissent à une meilleure convergence.

Transposition de la directive ECN+, avancées notables et pouvoirs renforcés

La directive 2019/1 du 11 décembre 2018, dite ECN+, visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, a été transposée en droit interne par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021.

Ce texte renforce et étend les pouvoirs de l’Autorité et des autres autorités nationales de concurrence de l’Union européenne, au bénéfice de l’application cohérente du droit européen de la concurrence. Les prérogatives de l’Autorité, qui étaient déjà largement alignées sur le standard élevé établi par la directive ECN+, n’en ont pas moins connu des avancées importantes.

  • L’Autorité aura désormais la faculté de fixer ses propres priorités et de rejeter les plaintes qui n’y correspondent pas. Cette « opportunité des poursuites » rendra possible une meilleure allocation de ses ressources, lesquelles pourront être pleinement consacrées à la résolution des affaires qu’elle estime prioritaires.
  • L’Autorité aura désormais la possibilité de se saisir d’office pour imposer des mesures conservatoires, et non plus seulement à la suite d’une demande présentée par une entreprise, accessoirement à sa demande au fond. L’Autorité pourra ainsi intervenir sans délai, de sa propre initiative, lorsqu’elle détectera des agissements pouvant nuire à la concurrence, en particulier dans des secteurs où les conditions de marché évoluent très rapidement.
  • La possibilité pour l’Autorité de prononcer des injonctions structurelles (par exemple la cession d’une filiale ou d’une activité), dans le cadre d’un contentieux, est pleinement consacrée, alignant ainsi les pouvoirs de l’Autorité sur ceux de la Commission européenne.
  • La directive procède à une harmonisation de la procédure de clémence à l’échelle européenne. Cette procédure, par laquelle une entreprise qui révèle à l’Autorité une infraction grave aux règles de concurrence peut solliciter une exonération de la sanction pécuniaire encourue, est désormais pleinement inscrite dans le droit positif national et reprend largement les termes du programme de clémence mis en œuvre jusqu’à présent par l’Autorité dans un cadre de droit souple. Autre avancée importante : l’incitation pour les entreprises à mettre au jour d’éventuelles ententes secrètes est encore renforcée puisqu’une immunité pénale (ou une réduction de sanction) peut être obtenue, sous conditions, par les personnes physiques appartenant au personnel de l’entreprise qui aura, la première, formé une demande de clémence.
  • La possibilité pour l’Autorité d’accéder aux données des entreprises faisant l’objet d’une investigation, quel qu’en soit le lieu de stockage, et d’accéder aux clés de chiffrement, est pleinement consacrée pour préserver l’efficacité des enquêtes face au développement des nouvelles méthodes de protections et modes de stockage modernes des données informatiques. Par ailleurs, les nouvelles dispositions soumettent les procédures de l’Autorité au standard dit de la « liberté de la preuve », applicable en matière pénale, ce qui élargira le champ de recevabilité des preuves.
  • Le régime des sanctions pécuniaires est désormais plus dissuasif et mieux harmonisé au niveau européen. Les organismes – dorénavant les « associations d’entreprises » – ne relèveront plus d’un régime spécifique de sanctions en cas d’infraction aux règles de concurrence (ils bénéficiaient jusqu’alors d’un plafond de sanction de 3 millions d’euros), mais seront désormais soumis au même plafond que celui applicable aux entreprises, soit 10 % du total des chiffres d’affaires des entreprises membres de l’association. Ceci concernera notamment les syndicats professionnels ou les ordres professionnels.
  • Les critères de détermination du montant des sanctions seront désormais unifiés et alignés avec ceux pratiqués par la Commission européenne, au regard des seules notions classiques de gravité et de durée de l’infraction, la référence que faisait précédemment la loi à la notion de « dommage à l’économie » étant supprimée.
  • Enfin, la coopération européenne entre autorités nationales de concurrence est renforcée (obligations d’information réciproque entre autorités du réseau européen de concurrence, extension de l’assistance entre autorités, notamment pour les opérations de visite et saisie, la notification des actes de procédure et le recouvrement du montant des sanctions) (Ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021).

Révision du communiqué « sanction », modernisation et harmonisation

Le 30 juillet 2021, l’Autorité a publié un nouveau communiqué de procédure relatif à la méthode de détermination des sanctions, qui abroge et remplace le précédent communiqué du 16 mai 2011. Le principe de publication de la méthodologie applicable en matière de détermination des sanctions s’inscrit dans une démarche de transparence visant à répondre aux besoins de sécurité juridique et de prévisibilité des entreprises. Le nouveau communiqué constitue, par ailleurs, une étape supplémentaire importante vers la convergence des règles applicables en matière de concurrence, et favorisera une application homogène des sanctions au sein du Marché intérieur.

Cette mise à jour, qui fait suite à une consultation publique, tire tout d’abord les conséquences des nouvelles dispositions législatives applicables issues de l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 portant transposition de la directive ECN+. Par ailleurs, l’Autorité apporte un certain nombre d’ajustements complémentaires qui s’inspirent de sa pratique au cours des dix années écoulées, de la jurisprudence des juridictions de contrôle et de la pratique de la Commission européenne.

Parmi les principales évolutions figurant dans le nouveau communiqué, on peut relever :

  • la suppression de la référence à la notion de dommage à l’économie ;
  • la suppression du plafond d’amende de 3 millions d’euros pour les associations d’entreprises et l’alignement sur le régime de sanction pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires ;
  • l’ajout de précisions sur la méthode de calcul du montant de base de la sanction, ainsi que sur les cas justifiant une adaptation de cette méthode, notamment en présence de marchés bifaces ou multifaces, qui revêtent une importance significative dans l’économie numérique ;
  • la mise à jour de la liste indicative des éléments dont l’Autorité peut tenir compte pour apprécier la gravité des pratiques, qui intègre désormais explicitement, au titre des paramètres de concurrence affectés par l’infraction, l’innovation ou encore l’environnement ;
  • la possibilité d’ajouter au montant de base une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes pour les pratiques les plus graves d’ententes horizontales et d’abus de position dominante ;
  • la prise en compte de la durée comme paramètre à part entière de détermination des sanctions, en alignant le coefficient de prise en compte de la durée avec celui prévu par les lignes directrices de la Commission européenne et, lorsque la période infractionnelle est inférieure à une année, en calculant la durée au prorata temporis de la participation de l’entreprise à l’infraction ;
  • la prise en compte de nouvelles circonstances atténuantes au titre des critères d’individualisation de la sanction, notamment lorsque l’entreprise a mis en œuvre, en cours de procédure, des mesures de réparation bénéficiant spécifiquement aux victimes de la pratique ;
  • la possibilité de majorer la sanction lorsqu’il résulte des éléments à la disposition de l’Autorité que les gains illicites estimés réalisés par l’entreprise concernée grâce à l’infraction sont supérieurs au montant de la sanction pécuniaire que l’Autorité pourrait prononcer ;
  • la prise en compte, au titre de l’appréciation de la réitération, des sanctions prononcées par les autres autorités de concurrence de l’Union et par les juridictions européennes.

Digital Market Act, l’outil complémentaire à la politique de concurrence

Le règlement Digital Markets Act (« DMA ») vise à lutter contre certaines pratiques mises en œuvre par d’importantes plateformes numériques et jugées dommageables à l’égard de deux principes directeurs : la contestabilité et l’équité des marchés.

Cette nouvelle législation représentera un pilier structurant dans la régulation des plateformes numériques en Europe. Elle bénéficiera à la fois aux entreprises utilisatrices qui dépendent de ces plateformes pour proposer leurs services dans le marché unique, qui bénéficieront d’un environnement commercial plus équitable, aux innovateurs et jeunes entreprises technologiques, qui disposeront de nouvelles possibilités d’affronter la concurrence et d’innover dans l’environnement des plateformes en ligne, et enfin aux consommateurs, qui bénéficieront d’un plus grand choix de services de meilleure qualité, de davantage de possibilités de changer de fournisseur s’ils le souhaitent, d’un accès direct aux services et de prix plus équitables.

Le DMA a été élaboré sur le principe d’une réglementation auto-exécutoire : une fois que les plateformes numériques visées par ce texte auront été désignées par la Commission sur la base de critères qualitatifs et quantitatifs objectifs en tant que contrôleurs d’accès (gatekeepers), ces derniers seront soumis à des règles précisément et préalablement définies dans le texte, sans besoin pour la Commission de démontrer une position dominante, un abus, ou de définir un marché. Ces obligations et interdictions ont été, pour la plupart, édictées en analysant les pratiques anticoncurrentielles qui ont été sanctionnées par le passé par plusieurs autorités de concurrence en Europe, ainsi que sur la base de plusieurs études et enquêtes sectorielles, et couvrent de nombreux volets :

  • l’accès et à l’exploitation des données ;
  • l’ouverture des écosystèmes mobiles et au libre choix des utilisateurs finaux ;
  • l’interopérabilité ;
  • la publicité ciblée ;
  • les offres liées ;
  • les obligations de transparence.

Une convergence internationale

Outre une présence forte dans les enceintes européennes et internationales (REC, ICN, OCDE, CNUCED), l’Autorité participe également aux travaux des autorités de concurrence dans le cadre du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni).

L’adoption d’un accord commun « droit de la concurrence et économie numérique », sous présidence française et signé à Chantilly en 2019, a constitué une première étape dans la construction d’une vision commune et ambitieuse des enjeux numériques.

La démarche s’inscrit désormais dans la durée, puisqu’en 2021 le volet concurrence de la coopération du G7 a été poursuivi sous présidence britannique et a notamment abouti à la réalisation du « Compendium des approches visant à améliorer la concurrence sur les marchés numériques ».

Ce document recense et compile la pratique décisionnelle et consultative, dans l’économie numérique, des autorités de concurrence des pays du G7, de la Direction générale concurrence de la Commission européenne et des autorités de concurrence de quatre pays invités (Afrique du Sud, Australie, Corée du Sud, Inde).

Le recueil des expériences de chacun s’articule autour de quatre axes :

  1. Les réponses apportées par les autorités de concurrence aux préoccupations de concurrence soulevées par les marchés numériques (décisions contentieuses, avis, enquêtes sectorielles ou études techniques).
  2. La professionnalisation des services des autorités de concurrence avec la création d’équipes spécialisées sur les questions liées au numérique.
  3. Le développement de propositions de réformes législatives à l’échelle nationale ou européenne.
  4. L’importance de la coopération à l’échelle nationale entre régulateurs ou internationale entre autorités de concurrence.

(Communiqué de presse du 29 novembre 2021).

Les contrôleurs d’accès devront, par exemple, permettre aux entreprises utilisatrices d’accéder aux données générées par leurs activités sur leur plateforme, ou encore autoriser les entreprises utilisatrices à promouvoir leur offre et à conclure des contrats avec leurs clients en dehors de leur plateforme. Il leur sera, en revanche, interdit d’empêcher les consommateurs d’accéder aux services d’entreprises en dehors de leurs plateformes ou de faire bénéficier les services et produits qu’ils proposent d’un traitement plus favorable en termes de classement que les services et produits similaires proposés par des tiers sur leur plateforme.

Sur le volet des acquisitions, le DMA impose aux gatekeepers une obligation d’information de toute acquisition envisagée et dans laquelle les actifs cibles fournissent des services dans le secteur numérique ou tout autre secteur économique permettant la collecte de données numériques. Ces informations seront transmises par la Commission aux autorités nationales compétentes, qui pourront les utiliser à des fins de contrôle des opérations de concentration, en s’appuyant sur les possibilités de renvoi prévues par l’article 22 du règlement n° 139/2004.

Le DMA constituera ainsi un outil complémentaire puissant au droit de la concurrence et renforcera efficacement la lutte contre certains des comportements les plus nocifs mis en œuvre par des gatekeepers très importants.

L’Autorité s’est fortement engagée pour un DMA ambitieux et efficace, en s’impliquant dès l’origine dans les négociations, afin de promouvoir un rôle actif des autorités nationales de concurrence dans la mise en œuvre du texte, dans le but de garantir une coordination optimale entre le droit de la concurrence et le DMA, afin de permettre une efficacité maximale de ce dernier. Cette implication s’est manifestée, d’une part, par la participation de l’Autorité aux discussions interministérielles visant à déterminer la position des autorités françaises au Conseil des ministres, et, d’autre part, par des discussions avec ses homologues européens, qui ont abouti à la publication d’un document conjoint des membres du REC. L’Autorité a également participé, sous l’égide de la représentation permanente de la France auprès de l’ue, aux négociations menées par le Conseil de l’Union européenne dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, et a été notamment amenée à fournir une expertise technique sur les questions relevant plus particulièrement de son expertise.

Le Conseil et le Parlement sont parvenus le 24 mars 2021, à un accord politique provisoire sur le projet de règlement. Le centre de gravité de ce texte sera européen : la Commission européenne sera seule compétente pour mettre en œuvre les pouvoirs prévus dans le DMA (comme celui de désigner des gatekeepers, de mettre à jour la liste des obligations, de mener des enquêtes de marché, d’imposer des sanctions, y compris des amendes dans la limite du plafond de 10 % du chiffre d’affaires total mondial réalisé au cours de l’exercice précédent, ou 20 % dans les cas de récidives caractérisés, etc.).

Les autorités nationales compétentes pour faire appliquer les règles de concurrence seront néanmoins amenées à travailler en étroite coordination avec la Commission européenne, afin, d’une part, de soutenir la Commission dans la mise en œuvre du texte, et, d’autre part, d’assurer une bonne articulation du DMA avec le droit de la concurrence.

Le règlement prévoit ainsi la possibilité pour les États membres d’habiliter les autorités nationales compétentes pour faire appliquer les règles de concurrence à mener des mesures d’enquête sur d’éventuels manquements aux obligations prévues par le règlement et à transmettre leurs conclusions à la Commission.

La coopération et les échanges d’informations entre les autorités nationales de concurrence et la Commission s’effectueront notamment via le Réseau européen de concurrence (REC), qui a su démontrer au cours des vingt dernières années qu’il constituait un vecteur de coopération et de coordination extrêmement efficace.

La complémentarité entre le droit de la concurrence et le DMA, qui a été une source d’inspiration pour l’élaboration du texte, constituera, par ailleurs, un principe directeur pour l’avenir. Le droit de la concurrence restera en première ligne pour assurer des marchés numériques ouverts et équitables, mais il contribuera également à rendre le DMA adaptable, en identifiant, par exemple, de nouvelles pratiques abusives qui permettront, le cas échéant, de mettre à jour des obligations énumérées dans le DMA.

Le règlement sera mis en œuvre dans un délai de six mois après son entrée en vigueur.

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