Prise de parole d'Emmanuel Combe, Vice-Président de l'Autorité de la concurrence

Pour une concurrence régulée

La concurrence est souvent perçue par l’opinion publique de manière ambivalente : comme consommateurs nous la plébiscitons, comme salariés nous la redoutons, comme citoyens nous la discutons. Pour les uns, elle est une forme saine d’émulation, qui permet aux plus méritants de faire valoir leurs talents. L’économiste Frédéric Bastiat n’hésitait d’ailleurs pas à affirmer en son temps que détruire la concurrence « c’est tuer l’intelligence ». La concurrence s’oppose alors à l’arbitraire, au privilège et aux rentes injustifiées : elle incarne « la loi démocratique par essence ». Pour les autres, la concurrence s’apparente à un processus de sélection au terme duquel une entreprise se retrouve seule sur le marché et va pérenniser sa position en usant de moyens déloyaux, au détriment des plus fragiles. Pour reprendre les termes même de J.F. Proudhon, « la concurrence tue la concurrence ».

À vrai dire, ces deux visions opposées contiennent chacune une part de vérité. D’un côté, on peut constater tous les jours les effets bénéfiques de l’entrée de nouveaux acteurs sur les prix, la qualité et la diversité des produits et l’incitation à innover. Ainsi, dans le cas de la France, le renforcement de la concurrence dans le transport aérien, les VTC, la téléphonie mobile, le notariat constituent autant d’exemples concrets et récents des bienfaits de cette force invisible mais puissante.

A contrario, on peut constater également que des entreprises dominantes abusent de leur position pour bloquer l’entrée de nouveaux concurrents aussi efficaces ou pour discriminer leurs clients. Sur les marchés d’oligopole, des entreprises s’engagent parfois dans des pratiques collectives de cartel, qui font monter artificiellement les prix, sans aucune contrepartie pour les clients. Les premières victimes de ces pratiques sont d’ailleurs souvent d’autres entreprises, dont la compétitivité est négativement affectée.

Ces deux visions, pour opposées qu’elles soient, ne sont pas irréconciliables, pour peu que l’on adopte une vision dynamique. L’expérience nous montre en effet qu’une entreprise qui a gagné au départ la compétition par ses mérites peut être tentée, dans un second temps, de maintenir son pouvoir de marché, en usant de pratiques artificielles. Le processus de concurrence va alors se gripper durablement : la concurrence aura « tué la concurrence ».

Dès lors que la concurrence ne s’entretient pas d’elle-même, l’intervention d’une « main visible » devient essentielle. Cette main visible, c’est celle de la concurrence régulée.

À cet égard, la politique de concurrence, et tout particulièrement son volet antitrust, joue un rôle déterminant. Ce n’est sans doute pas un hasard si plus de 130 juridictions dans le monde disposent aujourd’hui d’un droit de la concurrence et d’autorités qui le mettent en oeuvre. Tel est le cas de la France avec l’Autorité de la concurrence, institution de premier plan, au service de l’ordre public économique.

Dans son action répressive, l’Autorité de la concurrence a démontré sa détermination sans faille à lutter contre un large spectre de pratiques anti-concurrentielles, en mobilisant tous les outils dont le législateur l’a dotée : mesures conservatoires, sanctions, injonctions, etc. Toute la subtilité d’une politique de concurrence réside dans la définition d’une ligne de partage entre ce qui relève du mérite propre des entreprises et ce qui est injustifiable, en particulier en matière d’abus. Cette définition est nécessairement évolutive, comme le sont les pratiques des entreprises.

Mais la régulation de la concurrence ne s’arrête pas à son volet répressif. L’enjeu est également de créer dans notre pays de nouveaux espaces de concurrence lorsque ceux-ci sont bridés par une réglementation excessive ou inadéquate. À cet égard, l’Autorité de la concurrence, dans sa fonction consultative, éclaire le Gouvernement et la représentation nationale sur les gisements de concurrence qui pourraient être révélés, pour peu que la réglementation soit mieux adaptée au monde d’aujourd’hui. En particulier, l’essor du numérique et du commerce en ligne rend possible l’émergence de nouveaux modèles économiques, qui viennent adresser de nouveaux besoins. L’enjeu n’est pas de déréglementer à tout crin : les impératifs de qualité et de sécurité justifieront toujours le maintien d’une réglementation minimale et protectrice. L’enjeu est de s’assurer que le niveau de réglementation est justifié et proportionné par rapport à l’objectif recherché et qu’il ne conduit pas à brider excessivement la concurrence, en maintenant des rentes de rareté artificielle. Cet enjeu est fondamental pour notre pays : dans un monde disruptif et innovant, la croissance économique de demain reposera en grande partie sur notre capacité à faire émerger et croître de nouveaux géants.

L’Autorité de la concurrence, par son action répressive comme consultative, participe ainsi pleinement à cette régulation de la concurrence, visant à assurer les conditions d’un marché concurrentiel, pour le plus grand bénéfice de tous : des prix plus compétitifs, des produits diversifiés, une croissance des nouveaux acteurs, une incitation plus forte à innover.

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