L’essor des technologies numériques favorise l’émergence de nouveaux écosystèmes et l’apparition de services reposant sur des infrastructures essentielles nouvelles. Afin d’appréhender ces mutations, l’Autorité a ouvert plusieurs enquêtes sectorielles d’envergure pour étudier de façon approfondie les questions que soulèvent ces phénomènes en pleine expansion. Au niveau européen, le comportement de certains acteurs est, par ailleurs, actuellement examiné de près dans le cadre de procédures contentieuses.
Cloud
L’Autorité a annoncé, en janvier 2022, le lancement d’une vaste enquête sectorielle concernant le marché des services de cloud (stockage des données via un nuage). Si ces marchés sont dominés par des géants principalement américains et chinois (appelés hyperscalers), ils sont actuellement fortement investis par les acteurs français et européens, dont l’activité est en pleine progression, avec une croissance moyenne annuelle qui devrait dépasser les 25 % dans les prochaines années. L’Autorité entend procéder à une analyse globale du fonctionnement concurrentiel du secteur avec pour objectif d’examiner la dynamique concurrentielle, les acteurs, leurs relations contractuelles (alliances, partenariats) mais aussi d’étudier plus largement les conséquences de l’émergence du cloud dans tous les secteurs de l’économie, en étroite collaboration avec les autorités sectorielles. Plusieurs mois d’étude seront nécessaires, les conclusions finales sont attendues pour le début de 2023 (Communiqué de presse du 27 janvier 2022).
Sur le plan contentieux, une coalition d’une trentaine d’acteurs du cloud européens Coalition for a Level Playing Fields, dont huit entreprises françaises, ont déposé, début 2021, une plainte auprès de la Commission européenne à l’encontre de Microsoft concernant son offre de stockage OneDrive. Il lui est reproché de lier son offre cloud à ses autres offres de logiciels, tels que Teams ou les services Windows, créant ainsi une barrière pour ses concurrents. L’enjeu est particulièrement important pour la liberté de choix des consommateurs concernant leurs outils numériques, notamment de stockage et de partage. Un autre groupe d’entreprises, dont l’acteur français OVH Cloud, a également déposé, à l’été 2021, une plainte contre Microsoft devant la Commission européenne pour des pratiques qui limiteraient le choix des consommateurs sur le marché des services du cloud computing via des ventes liées et des tarifs préférentiels lorsque ses clients des logiciels de bureautique (suite Microsoft office 365 qui comprend Word, Excel, Teams …) installent les logiciels sur sa plateforme cloud Azure.
FinTech et BigTech
Le secteur bancaire et financier est aujourd’hui traversé par de profondes mutations, caractérisées par le développement des FinTech et BigTech fonctionnant sur la base de modèles d’affaires différents des acteurs traditionnels en place, notamment par l’émergence de modes de paiement novateurs pour les consommateurs et de nouveaux services diversifiés. Le paiement sans contact par carte bancaire, par téléphone mobile et par montre connectée s’est en particulier fortement développé en liaison avec l’essor du commerce en ligne. L’ensemble de ces services, canaux et méthodes alternatives de paiement s’appuient sur des évolutions technologiques récentes, en particulier sur le cloud computing et la blockchain qui, bien que n’étant pas spécifiques au secteur des paiements, sont susceptibles de modifier en profondeur et durablement son fonctionnement.
Dans son enquête sectorielle publiée en avril 2021, l’Autorité a pointé la grande « agilité » des FinTech pour développer de nouveaux services innovants tout en se saisissant des opportunités créées par la réglementation. Elle a également constaté que les acteurs bancaires traditionnels recouraient à différentes stratégies pour rester en prise avec les segments les plus innovants du marché : prise de contrôle via des acquisitions, prises de participation, développement en interne. Enfin, le panorama dressé dans son étude met en lumière l’arrivée des grandes plateformes BigTech, qui disposent de multiples avantages. Cet état des lieux approfondi constitue, aux yeux de l’Autorité, une étape préalable indispensable. Il lui permettra, par la suite, d’être en mesure de répondre efficacement aux différentes atteintes à la concurrence susceptibles de découler des risques identifiés. Parmi ceux-ci, on peut citer le risque de renforcement du pouvoir de marché des BigTech et de verrouillage des consommateurs, le risque lié à la détention de données par les prestataires de services de paiement gestionnaires de comptes, les risques concurrentiels liés à l’utilisation de la blockchain ou encore le risque de remise en cause du modèle de banque universelle et de marginalisation des acteurs bancaires traditionnels (Avis 21-A-05 du 29 avril 2021, pour plus de détails, voir p. 57 du rapport annuel).
Sur le plan contentieux, le comportement de certains acteurs est d’ores et déjà étroitement scruté au niveau européen. C’est en particulier le cas d’Apple, dont le système de paiement fait l’objet d’une vigilance particulière de la part des autorités de concurrence. La Commission européenne a, en effet, ouvert une enquête en juin 2020 afin d’apprécier si le comportement d’Apple concernant Apple Pay enfreignait les règles de concurrence de l’Union européenne (Communiqué de presse CE, 16 juin 2020). Margrethe Vestager a indiqué à cet égard qu’« il est important que les mesures prises par Apple ne privent pas les consommateurs des avantages qu’offrent les nouvelles technologies de paiement, notamment en matière de choix, de qualité, d’innovation et de prix compétitifs ». De son côté, l’autorité néerlandaise, Autoriteit Consument & Markt (ACM), a sanctionné Apple pour avoir empêché les applications de rencontres, telles que Tinder, Bumble ou Meetic, d’utiliser d’autres systèmes de paiement en plus du système d’Apple, au sein de l’AppStore. Constatant le non-respect de sa décision par Apple, l’ACM l’a assujettie à une amende de 5 millions d’euros par semaine jusqu’à la mise en conformité de son comportement. En juin 2022, l’ACM a accepté la proposition d’Apple de modifier ses conditions concernant les applications de rencontres. Désormais différents modes de paiement seront autorisés dans les applications de rencontres néerlandaises (Décision ACM, 11 juin 2022).