La concurrence au service de l’innovation

La concurrence constitue un précieux aiguillon pour inciter les entreprises à donner le meilleur d’elles-mêmes, à faire toujours mieux pour maintenir leur place face à leurs concurrents. Elle se traduit par des gains de productivité, une amélioration de la qualité des produits et le lancement d’innovations, parfois portées par de nouveaux acteurs. Dans un monde où l’innovation devient le facteur clé de la croissance, la politique de concurrence occupe une place centrale : elle constitue un levier intéressant pour préserver et encourager cette capacité à innover. Ainsi, l’Autorité sanctionne fermement les stratégies de verrouillage que peuvent être tentées de mettre en œuvre les entreprises installées, à l’encontre de nouveaux entrants. En matière de contrôle des concentrations, la politique de concurrence évolue, afin de se donner désormais les moyens de lutter contre les acquisitions dites « prédatrices » (killer acquisition), dont l’objectif même est d’éviter le développement d’une nouvelle concurrence, portée par l’innovation.

ENTENTES : AGIR FACE AUX COMPORTEMENTS COLLECTIFS QUI RETARDENT LE LANCEMENT D'INNOVATIONS

Pour les entreprises en place, l’innovation peut constituer une remise en cause de leur position établie, en particulier lorsqu’elle est portée par de nouveaux acteurs. Cette remise en cause peut survenir à la faveur de l’arrivée sur le marché de nouveaux produits ou services, mais aussi suite à l’émergence d’un nouveau modèle économique, qui redéfinit les contours du marché. C’est alors une véritable remise en question qui s’engage et un repositionnement des opérateurs installés doit alors s’opérer. Face à ces changements, certains acteurs peuvent être tentés de préserver leur position en mettant en œuvre des pratiques illégales visant à empêcher ou ralentir la transition vers de nouvelles technologies.

La décision rendue par l’Autorité en septembre 2021 dans le secteur des transports routiers de marchandises illustre ce type de comportement. Dans ce dossier, plusieurs acteurs du secteur (bourse de fret, groupements de transporteurs, organisations syndicales) ont été sanctionnés pour avoir entravé l’arrivée et le développement de nouveaux acteurs du numérique proposant des services de mise en relation des clients chargeurs avec des transporteurs, au travers d’une interface en ligne, en utilisant des méthodes de géolocalisation immédiate. L’Autorité a considéré que ces pratiques étaient d’autant plus graves qu’elles concernent un secteur en profonde évolution, marqué par l’émergence de nouvelles technologies informatiques et numériques permettant l’optimisation de la gestion du transport (Décision 21-D-21 du 9 septembre 2021).

Deux ans auparavant, l’Autorité avait, de la même manière, sanctionné à hauteur de 415 millions d’euros les quatre émetteurs historiques de titres-restaurant pour entente. Ils avaient notamment adopté une série d’accords visant à verrouiller le marché en contrôlant l’entrée de nouveaux acteurs et en s’interdisant réciproquement de se lancer dans l’émission des titres dématérialisés (sous forme de carte ou d’application mobile).

L’Autorité a estimé que ces pratiques avaient non seulement porté atteinte à la concurrence mais également freiné l’innovation technologique, en empêchant le développement des titres-restaurant dématérialisés (Décision 19-D-25 du 17 décembre 2019). Un dossier dont l’actualité s’est poursuivie en 2021 avec l’introduction d’une action en réparation auprès du tribunal de commerce de plus de 1 000 restaurateurs sur la base de la décision de l’Autorité, contre les émetteurs des titres-restaurant.

CONCENTRATION SOUS LES SEUILS : AGIR PRÉVENTIVEMENT POUR ÉVITER TOUT BLOCAGE DE L'INNOVATION

Afin d’éviter la constitution de position de marché trop fortes, les opérations de concentration sont soumises à l’autorisation de l’Autorité de la concurrence lorsque le chiffre d’affaires total mondial de l’ensemble des entreprises parties prenantes est supérieur à 150 millions d’euros et que le chiffre d’affaires total réalisé en France par deux au moins des entreprises concernées est supérieur à 50 millions d’euros. Au-delà d’une certaine taille, c’est la Commission européenne qui est compétente.

Depuis quelques années, et à la faveur du développement du numérique notamment, les autorités de concurrence ont progressivement pu constater que ce cadre rencontrait certaines limites. Il est en particulier apparu que certaines opérations portant sur des acteurs émergents très innovants pouvaient échapper à leur contrôle, compte tenu du faible niveau de chiffre d’affaires de la cible. Cet « angle mort » de la régulation, qui ouvre la possibilité à une entreprise en position dominante de racheter ses différents concurrents de petite taille sans contrôle préalable, peut s’avérer problématique du point de vue de la dynamique concurrentielle des marchés et du maintien des incitations à innover.

À plusieurs reprises, l’Autorité a proposé de pallier cette lacune par le recours, à droit constant, au mécanisme de renvoi prévu par l’article 22 du règlement n° 139/2004. C’est pourquoi elle a accueilli favorablement l’annonce faite par la Commission européenne en 2020 de son intention d’accepter désormais que les autorités nationales de concurrence puissent lui renvoyer pour examen des opérations de concentration sensibles, y compris lorsque celles-ci ne remplissent pas les critères de contrôlabilité au niveau national.

Peu de temps après cette annonce, cette nouvelle approche a rencontré un premier cas d’application, avec la décision de la Commission d’ouvrir une procédure d’examen de l’opération de rachat de Grail par Illumina, sur une demande de renvoi formulée par l’Autorité de la concurrence, à laquelle se sont joints plusieurs États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (Belgique, Grèce, Islande, Pays-Bas, Norvège). Il s’agit du rachat par une entreprise américaine puissante dans le domaine de la santé d’une entreprise innovante qui travaille à l’élaboration d’un test sanguin de dépistage du cancer fondé sur la technologie du séquençage génomique (Communiqué de presse, 20 avril 2021, pour plus de détails sur cette opération, voir p. 80 du rapport annuel). Margrethe Vestager, Vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, a déclaré que la Commission européenne avait ouvert « une enquête approfondie pour déterminer précisément si l’opération envisagée, qui combinera les activités d’Illumina et de GRAIL, menacerait la capacité des concepteurs de tests de dépistage du cancer à être réellement concurrentiels dans ce domaine et à offrir des produits innovants sur le marché » (Communiqué de presse CE, 22 juillet 2021).*

Cette approche renouvelée de l’article 22 permet de mobiliser de façon plus efficace cet outil à l’échelle européenne. Elle permettra de mieux contrôler les acquisitions d’entreprises à forte valeur, notamment dans les domaines de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs, en prenant en compte leur impact possible sur l’innovation et le lancement de produits innovants.

* La décision de la Commission de se saisir de cette affaire fait l’objet d’un recours pendant devant le Tribunal de l’Union européenne.

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