Afin d’éviter la constitution de position de marché trop fortes, les opérations de concentration sont soumises à l’autorisation de l’Autorité de la concurrence lorsque le chiffre d’affaires total mondial de l’ensemble des entreprises parties prenantes est supérieur à 150 millions d’euros et que le chiffre d’affaires total réalisé en France par deux au moins des entreprises concernées est supérieur à 50 millions d’euros. Au-delà d’une certaine taille, c’est la Commission européenne qui est compétente.
Depuis quelques années, et à la faveur du développement du numérique notamment, les autorités de concurrence ont progressivement pu constater que ce cadre rencontrait certaines limites. Il est en particulier apparu que certaines opérations portant sur des acteurs émergents très innovants pouvaient échapper à leur contrôle, compte tenu du faible niveau de chiffre d’affaires de la cible. Cet « angle mort » de la régulation, qui ouvre la possibilité à une entreprise en position dominante de racheter ses différents concurrents de petite taille sans contrôle préalable, peut s’avérer problématique du point de vue de la dynamique concurrentielle des marchés et du maintien des incitations à innover.
À plusieurs reprises, l’Autorité a proposé de pallier cette lacune par le recours, à droit constant, au mécanisme de renvoi prévu par l’article 22 du règlement n° 139/2004. C’est pourquoi elle a accueilli favorablement l’annonce faite par la Commission européenne en 2020 de son intention d’accepter désormais que les autorités nationales de concurrence puissent lui renvoyer pour examen des opérations de concentration sensibles, y compris lorsque celles-ci ne remplissent pas les critères de contrôlabilité au niveau national.
Peu de temps après cette annonce, cette nouvelle approche a rencontré un premier cas d’application, avec la décision de la Commission d’ouvrir une procédure d’examen de l’opération de rachat de Grail par Illumina, sur une demande de renvoi formulée par l’Autorité de la concurrence, à laquelle se sont joints plusieurs États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (Belgique, Grèce, Islande, Pays-Bas, Norvège). Il s’agit du rachat par une entreprise américaine puissante dans le domaine de la santé d’une entreprise innovante qui travaille à l’élaboration d’un test sanguin de dépistage du cancer fondé sur la technologie du séquençage génomique (Communiqué de presse, 20 avril 2021, pour plus de détails sur cette opération, voir p. 80 du rapport annuel). Margrethe Vestager, Vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, a déclaré que la Commission européenne avait ouvert « une enquête approfondie pour déterminer précisément si l’opération envisagée, qui combinera les activités d’Illumina et de GRAIL, menacerait la capacité des concepteurs de tests de dépistage du cancer à être réellement concurrentiels dans ce domaine et à offrir des produits innovants sur le marché » (Communiqué de presse CE, 22 juillet 2021).*
Cette approche renouvelée de l’article 22 permet de mobiliser de façon plus efficace cet outil à l’échelle européenne. Elle permettra de mieux contrôler les acquisitions d’entreprises à forte valeur, notamment dans les domaines de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs, en prenant en compte leur impact possible sur l’innovation et le lancement de produits innovants.
* La décision de la Commission de se saisir de cette affaire fait l’objet d’un recours pendant devant le Tribunal de l’Union européenne.