Développement durable et concurrence, une combinaison qui progresse

Notre monde connaît de grands bouleversements sociétaux parmi lesquels figure l’urgence de créer une société plus durable et résiliente. Le développement durable est ainsi devenu un sujet d’actualité important pour les autorités de concurrence tant au niveau européen, avec les ambitions du Pacte Vert et la révision des règlements d’exemption par catégorie, qu’au niveau national, avec la volonté affirmée par l’Autorité d’investir ces sujets. Les questions de développement durable prennent désormais une place grandissante en matière contentieuse, consultative et émergent également dans les analyses réalisées dans le cadre du contrôle des concentrations avec, en particulier, l’examen de nouveaux marchés. Bilan d’une année d’avancées.

Les contours d’un cadre juridique clarifié se dessinent

En matière de développement durable, les entreprises prennent désormais part au changement. Si, de prime abord, la politique de concurrence n’apparaît pas en première ligne sur les questions de durabilité, droit de la concurrence et développement durable trouvent cependant un point de rencontre dans la mesure où, en protégeant le processus concurrentiel, le droit de la concurrence protège et promeut non seulement le bien-être du consommateur, qui s’exprime de plus en plus vers des produits durables, mais également les innovations durables. Plus directement encore, le droit de la concurrence encadre les initiatives envisagées par les acteurs économiques en matière de développement durable. Or ces initiatives peuvent, dans certains cas, potentiellement contredire le droit de la concurrence. L’examen de ces initiatives par les autorités de concurrence permet alors de sécuriser les coopérations favorables au développement durable qui génèrent des effets positifs en termes d’intérêt public compensant les effets négatifs sur la concurrence et qui bénéficient en particulier suffisamment aux consommateurs.

En France, l’Autorité a conscience de la difficulté pour les acteurs économiques de s’assurer, dans certains cas, que leurs accords ne posent pas de problèmes sur le terrain concurrentiel. C’est la raison pour laquelle les services d’instruction mènent une réflexion approfondie sur ces sujets au sein d’un réseau interne dédié (Réseau du développement durable) et l’Autorité participe aux multiples travaux engagés dans les enceintes internationales, que ce soit à l’ocde, au sein du réseau européen de concurrence ou encore du réseau international de concurrence dont l’un des thèmes majeurs de l’édition 2021 a été consacré à la durabilité (Pour voir ou revoir la conférence de l’icn, Sustainable Development and Competition Law, 13 octobre 2021, https://icn2021budapest.hu/site/).

Au niveau européen, le processus de révision des règles relatives aux accords de coopération horizontale entre entreprises est, par ailleurs, en cours. L’objectif est d’adapter les règles actuelles aux évolutions économiques et sociétales qui sont intervenues ces dix dernières années en matière de transitions numérique et écologique. Le projet de lignes directrices prévoit un chapitre nouveau consacré à l’évaluation des accords horizontaux poursuivant des objectifs de durabilité. Il sera ainsi clarifié auprès des entreprises dans quels cas elles peuvent licitement coopérer avec des concurrents, y compris, le cas échéant, en bénéficiant d’une exemption individuelle pour les situations les plus complexes. Le projet accorde, en particulier, « une attention particulière aux accords qui fixent des normes de durabilité, étant donné que cela devrait être la forme de coopération la plus fréquente pour réaliser les objectifs de durabilité » (Communiqué de presse CE, 1er mars 2022 et note explicative accompagnant les projets de REC horizontaux et de lignes directrices révisés).

Action consultative : des demandes d’avis dans le cadre de l’action publique grandissante en matière de transition

La transition écologique souhaitée par le Gouvernement et le Parlement conduit à l’adoption de nouveaux cadres réglementaires dans de nombreux secteurs. Dans ce contexte, l’Autorité est amenée à être saisie sur le fondement de l’article L. 462-1 du code de commerce de projets de texte qui présentent des considérations de développement durable en interaction avec des problématiques concurrentielles.

En 2021, l’Autorité a ainsi été saisie pour avis sur les critères d’allotissement des marchés de collecte, de transport et de régénération des huiles usagées dans le cadre de la mise en place d’une nouvelle filière à responsabilité élargie du producteur (REP) pour les huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles.

L’Autorité a, en particulier, considéré que les critères retenus n’étaient pas pertinents compte tenu de la structuration historique du marché et des pressions concurrentielles existantes. L’avis de l’Autorité (Avis 21-A-13 du 11 octobre 2021) a été suivi en ce qui concerne cette recommandation et l’arrêté du 27 octobre 2021 ne contient donc pas lesdits critères.

Action répressive : une pratique décisionnelle qui s’étoffe progressivement

L’Autorité agit aussi sur le terrain contentieux, en mettant l’accent sur la détection des pratiques anticoncurrentielles pouvant nuire au développement durable.

Cartel des linos

Ainsi qu’elle l’a indiqué à l’occasion de la sanction du cartel des revêtements de sols, les pratiques qui ont un impact négatif en termes de développement durable sont considérées comme particulièrement graves. Dans cette affaire, les trois principaux fabricants de sol en PVC et linoléums avaient notamment renoncé à se faire concurrence sur la base des mérites de leurs produits respectifs au regard des critères environnementaux, en s’abstenant d’en faire un argument commercial, alors même que les performances environnementales des revêtements de sols, notamment en ce qui concerne l’émission de composés organiques volatils, se sont imposées comme l’un des principaux critères de choix des clients distributeurs, professionnels ou consommateurs particuliers. L’Autorité a estimé que cet accord avait pu dissuader les entreprises d’améliorer les performances techniques de leurs produits et d’investir dans les processus innovants visant à en améliorer les performances environnementales (Décision 17-D-20 du 18 octobre 2017).

À la suite de cette sanction, plusieurs hôpitaux français ont décidé d’introduire, en 2022, une action en réparation de leur préjudice subi en raison de la surfacturation de millions de mètres de « lino ».

Transport routier

En septembre 2021, l’Autorité a sanctionné des pratiques anticoncurrentielles freinant la transition numérique dans le secteur du transport routier, ayant potentiellement des effets négatifs pour l’environnement. Dans ce secteur, plusieurs organisations s’étaient concertées pour boycotter ou inciter les transporteurs au boycott de nouvelles plateformes numériques d’intermédiation qui proposaient des services d’optimisation permettant la suppression d’un échelon d’intermédiation, ou encore la réduction des retours à vide des transporteurs. Or, selon l’ademe, une diminution de 1 % des retours à vide permettrait une diminution de l’émission de gaz à effet de serre de 0,70 %. L’Autorité a donc pris en compte le fait que les pratiques ont fait obstacle à l’amélioration de l’efficacité environnementale du secteur dans l’établissement de la sanction (Décision 21-D-21 du 9 septembre 2021).

De nouvelles considérations « vertes » examinées dans le cadre du contrôle des concentrations

La prise en compte des enjeux de développement durable passe aussi par le contrôle des fusions et acquisitions, lequel garantit en particulier que les rapprochements entre concurrents ne réduisent pas l’innovation. En effet, en veillant à ce que des opérations de concentrations ne nuisent pas à la concurrence, l’Autorité protège et encourage l’innovation afin que les entreprises continuent de développer de nouvelles technologies, de nouveaux savoir-faire ou encore de meilleurs produits qui conduisent à des améliorations environnementales et durables.

En matière de contrôle des concentrations, la définition des marchés pertinents constitue une étape essentielle, dans la mesure où elle permet d’identifier le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre entreprises et d’apprécier, dans un second temps, les pouvoirs de marché respectifs des acteurs en présence. À la faveur de l’examen des opérations qui lui sont soumises, l’Autorité est de plus en plus souvent amenée à définir et examiner ce que l’on appelle les nouveaux marchés « verts ».

Ainsi par exemple, à l’occasion de l’examen de l’opération relative à l’entrée de Storengy, filiale d’Engie, au capital de DMSE, l’Autorité a examiné, pour la première fois en janvier 2021, les marchés de la production et de la distribution d’hydrogène, ainsi que le marché du développement, de la construction et de l’installation de stations à hydrogène. L’Autorité a estimé que bien qu’à l’issue de l’opération, DMSE serait le seul opérateur actif sur le marché de la distribution d’hydrogène dans l’agglomération dijonnaise, cette position n’était pas nécessairement problématique, compte tenu du caractère émergent et en pleine expansion du marché.

La consécration du critère environnemental en tant que paramètre d’appréciation de la gravité

L’Autorité a annoncé en juillet 2021 qu’elle entendait faire évoluer son appréciation de la gravité dans son communiqué relatif au calcul des sanctions en mettant à jour la liste des éléments dont elle peut tenir compte pour apprécier la gravité des pratiques. L’Autorité indique désormais explicitement que l’atteinte à l’environnement constituera un critère d’appréciation de la gravité de la pratique lors du calcul de la sanction qui sera prononcée contre l’entreprise en cause. Ce faisant, l’Autorité entend souligner que les pratiques anticoncurrentielles qui auront un impact sur l’environnement pourront être considérées comme plus graves et que les entreprises qui se rendent coupables de tels manquements pourront se voir appliquer, à ce titre, des sanctions plus importantes (Communiqué de procédure relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, 30 juillet 2021).

Prenant en considération l’existence de concurrents potentiels et l’absence de barrière à l’entrée sur ce marché, elle a considéré que cette situation ne soulevait pas de difficultés de concurrence. Par ailleurs, au vu de l’importance de l’électricité dans le processus de production de l’hydrogène par électrolyse, l’Autorité a également apprécié les effets de l’opération sur le marché de la fourniture au détail d’électricité. À cette occasion, elle s’est interrogée sur la nécessité d’identifier un segment distinct de la fourniture au détail « d’électricité verte », regroupant les offres vertes d’électricité qui s’appuient sur de l’électricité produite à partir d’énergie renouvelable ou couverte par des certificats de garantie d’origine. À cet égard, elle a constaté le développement croissant de ces offres qui s’appuient principalement sur le mécanisme des certificats de garanties d’origine et sur l’accroissement de la demande des consommateurs (entreprises, collectivités territoriales et particuliers).

Au regard de ces éléments, elle a constaté une moindre substituabilité entre la fourniture au détail d’électricité verte et celle de l’électricité traditionnelle, ce constat semblant suggérer l’existence d’un marché spécifique de fourniture au détail d’électricité verte. L’Autorité a néanmoins décidé de laisser cette question encore ouverte à ce stade, l’analyse concurrentielle demeurant inchangée, quelle que soit la segmentation retenue.

Au terme de son analyse, l’Autorité a donc autorisé cette opération sans la soumettre à des conditions particulières (Décision 21-DCC-18 du 29 janvier 2021).

En mai 2021, l’Autorité a, à l’inverse, adopté une décision d’interdiction du projet d’acquisition par le groupe Ardian, notamment actif dans les secteurs du transport, des télécoms et des énergies renouvelables, de la Société du Pipeline Méditerranée-Rhône (SPMR), active dans le transport d’hydrocarbures par oléoducs. Le groupe Ardian faisait notamment valoir qu’il orienterait la politique commerciale de la cible dans le sens de la transition énergétique et que ce « gain » était spécifique à la concentration projetée. Si l’Autorité a rejeté cette analyse compte tenu des faits de l’espèce, elle a néanmoins précisé que des gains de nature écologique pourraient, en théorie, être recevables en vue de contrebalancer les risques d’atteinte à la concurrence liés à une opération de concentration (Décision 21-DCC-79 du 12 mai 2021, pour plus de détails sur cette décision, voir p. 94 du rapport annuel).

Enfin, en octobre 2021, l’Autorité a examiné la création de l’entreprise commune GMOB par les sociétés AGI, EDF PEI, Genak et SAFO, qui sera active dans le secteur des bornes de recharge publiques pour véhicules électriques en Guadeloupe et, dans un second temps, en Martinique et en Guyane. À cette occasion, l’Autorité a examiné pour la première fois le marché amont de la fourniture des bornes de recharge pour véhicules électriques ainsi que le marché aval de l’installation et de l’exploitation des bornes de recharge pour véhicules électriques. Au terme de son analyse, l’Autorité a donc autorisé cette opération sans la soumettre à des conditions particulières (Décision 21-DCC-172 du 1er octobre 2021, pour plus de détails sur cette décision, voir p. 92 du rapport annuel).

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