DÉVELOPPEMENT DURABLE ET CONCURRENCE

Une préoccupation majeure et stratégique

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Une préoccupation majeure et stratégique

Le développement durable est l’un des principaux défis à relever du monde de demain et la concurrence peut constituer un levier permettant de répondre aux défis environnementaux. Soucieuse d’apporter sa contribution, l’Autorité de la concurrence fait de l’environnement un axe prioritaire de son action. La mobilisation et la coopération sont fortes sur le sujet, tant au niveau international qu’européen. L’Autorité a ainsi décidé de cibler les pratiques anticoncurrentielles les plus dommageables en la matière et d’accompagner les entreprises qui souhaitent bénéficier d’orientations. Le point sur la montée en puissance d’une politique de concurrence « verte ».

Une mobilisation générale

Face à l’urgence climatique mais aussi dans un monde d’après-crise qui exigera d’innover tout en relevant les enjeux de durabilité et de résilience, des transformations profondes des activités économiques sont à prévoir, avec d’importantes implications sociales et sociétales. Les régulateurs, dont ceux de concurrence, doivent accompagner les acteurs engagés en matière de développement durable et notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique. Très engagée sur le sujet, l’Autorité participe activement aux réflexions, au niveau international, européen et national.

Au niveau européen et international

Le « Green Deal » (ou pacte vert) pour l’Europe « vise à transformer l’UE en une société juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive » avec pour ambition d’être le premier continent neutre pour le climat d’ici 2050. Si la politique de concurrence n’est pas en première ligne en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de l’environnement, elle peut en revanche y apporter une contribution. En participant à l’obtention de résultats efficaces et concurrentiels sur les marchés, la politique de concurrence permet en effet, de promouvoir des comportements favorables au développement durable et venir ainsi en soutien des politiques dites « vertes » (Priorités de la Commission européennes 2019-2024).

Au niveau européen, l’Autorité contribue à la réflexion dans le cadre du Green Deal mais aussi au sein des différentes discussions sur la révision des règlements européens d’exemption sur les restrictions verticales et sur certaines catégories d’accords de recherche et de développement et de spécialisation. De même, elle participe aux réflexions menées au sein du réseau international de concurrence (International Competition Network, ICN). Dans ces différentes instances, l’Autorité contribue aux travaux visant à clarifier le cadre juridique applicable aux comportements vertueux en termes de développement durable.

Au niveau national

En France, les différents régulateurs ont également lancé une initiative commune et se sont mobilisés. Huit autorités administratives ou publiques indépendantes (l’AMF pour le secteur financier, le CSA pour l’audiovisuel, l’ARCEP pour les télécoms, la CNIL pour la protection des données, l’Hadopi pour la protection du droit d’auteur, l’ART pour les transports, la CRE pour l’énergie, et l’Autorité de la concurrence) ont engagé fin 2019 des réflexions pour confronter leur approche des enjeux climatiques. Les régulateurs se sont engagés, dans un document commun publié en mai 2020 et intitulé « Accord de Paris et urgence climatique : enjeux de régulation », à prendre en compte l’urgence climatique dans la dé finition et l’exercice de leurs missions et ont identifiés les leviers d’action disponibles (Communiqué de presse, 5 mai 2020). Ce groupe uni entend poursuivre ses réflexions sur des pistes de collaboration identifiées, telles que la meilleure compréhension et l’analyse des données climatiques fournies par des acteurs sous la supervision de différentes autorités, la conception d’outils pédagogiques ou encore le renforcement de l’expertise des régulateurs.

Une préoccupation majeure et stratégique

Un engagement fort de l’Autorité

Une des priorités de l’institution

Préoccupation majeure pour l’opinion publique et les consommateurs en particulier, le développement durable est de plus en plus au cœur de la stratégie des entreprises. Cette place grandissante rejaillit sur la pratique du droit de la concurrence. Le développement durable constitue désormais l’une des priorités de l’Autorité qui intensifie son action de détection des pratiques anticoncurrentielles les plus dommageables en la matière et a mis en place un groupe de travail spécialisé au sein des services d’instruction, en charge de mener une réflexion approfondie sur le sujet.

Différents comportements sous surveillance

Le développement durable peut enfin parfois être utilisé par les entreprises comme un motif ou un prétexte à l’adoption de comportements anticoncurrentiels. Il s’agit de comportements qui, sous couvert d’engagements sur des objectifs environnementaux ou de développement durable, servent à créer et dissimuler une entente ou un abus, en mettant en œuvre des pratiques prohibées, telles que la fixation des prix, la limitation de la production, la répartition de marchés ou encore l’éviction de concurrents existants ou potentiels. Ainsi, des entreprises peuvent s’entendre pour augmenter leurs prix à l’occasion de discussions sur les performances environnementales de la filière, avec le soutien éventuel d’un organisme public, ou pour ne plus fabriquer ou importer de produits ne remplissant pas certains critères environnementaux. Des entreprises peuvent également, par exemple, s’entendre pour ne pas se concurrencer sur de nouveaux produits « verts ».
À titre d’exemple, dans l’affaire « Consumer Detergents » du 13 avril 2011, la Commission européenne a sanctionné les entreprises Henkel, Procter & Gamble et Unilever pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles à l’occasion d’une initiative environnementale européenne relative au compactage des lessives en poudre. À cette occasion, les dosages et le poids des paquets de lessives en poudre standard avaient été réduits et les emballages modifiés. Les entreprises avaient discuté de manière approfondie des réductions de poids (« compactage ») et de volume (« réduction de taille ») et décidé en commun de maintenir les prix inchangés.

Au-delà de ces comportements qui dissimulent, derrière « un vernis vert », un comportement anticoncurrentiel classique, l’Autorité surveille l’adoption de comportements des acteurs qui touchent au développement durable en tant qu’il est devenu, sur les marchés en cause, un paramètre de concurrence au même titre que d’autres considérations de qualité ou d’innovation.

Ces comportements défavorables au développement durable peuvent générer des restrictions touchant aux prix ou à la production, mais aussi affecter l’innovation, la diversité des produits par l’intermédiaire notamment de la transparence sur les qualités durables, la manipulation du discours vis-à-vis des agences et du public ou encore la fermeture de marchés. L’Autorité y sera particulièrement vigilante.
Par exemple, dans la décision sur le cartel des revêtements de sols, l’Autorité a considéré qu’un accord par lequel des entreprises s’interdisaient de communiquer sur les performances environnementales individuelles de leurs produits respectifs avait pour finalité d’empêcher la libre détermination des politiques de communication de chacune des entreprises et, au-delà, de prévenir toute concurrence fondée sur les performances environnementales de ces produits. L’Autorité a estimé qu’un tel accord constituait, en lui-même, une restriction anticoncurrentielle (Décision 17-D-20 du 18 octobre 2017).

Une préoccupation majeure et stratégique

Élise Provost

Rapporteure permanente des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence, Pilote du groupe de travail en charge des problématiques de développement durable

Comment se matérialise concrètement, au sein des services d’instruction, la priorité sur le développement durable ?

Depuis fin 2019, il existe un réseau dédié au développement durable, regroupant une vingtaine d’agents des services d’instruction de l’Autorité instruisant des dossiers au sein de différentes unités. Ce réseau transversal a une triple mission :

  • discuter avec les différents interlocuteurs pouvant éclairer l’Autorité sur les problématiques de développement durable et les difficultés rencontrées ;
  • réfléchir en interne en explorant les sujets juridiques et économiques qui peuvent se présenter, afin de faire monter en expertise et harmoniser les pratiques des services d’instruction ;
  • agir en accompagnant les acteurs et en cherchant des cas contentieux qui présentent des aspects de développement durable. Plusieurs enquêtes ont d’ores et déjà été lancées. Certaines ont abouti ou sont proches de l’être, d’autres sont encore en cours. L’enquête et le contentieux qui peut lui succéder sont au cœur de l’action des services d’instruction et mobilisent largement le réseau. Mettre en avant des exemples, vertueux ou non, est en effet le moyen le plus clair pour permettre aux entreprises d’autoévaluer leurs comportements et rappeler l’intransigeance de l’Autorité face à des comportements anticoncurrentiels qui impactent le développement durable.

Quelles sont les réflexions en cours pour donner plus de prévisibilité aux entreprises ?

Les autorités de concurrence doivent encore gagner en expertise avant de pouvoir adopter des lignes directrices spécifiques.
Pour autant, les entreprises ne sont pas privées de toute sécurité juridique en la matière. Dans de nombreuses situations, elles peuvent adopter des comportements positifs en termes de développement durable qui ne poseront aucun problème sur le terrain concurrentiel. Pour ce faire, elles peuvent utilement se reporter aux nombreux textes dits de « droit mou » de la Commission et notamment à la communication de minimis, aux lignes directrices sur les accords horizontaux de coopération pour les accords de standardisation notamment, ou encore aux lignes directrices horizontales de 2001. Dans les situations dans lesquelles l’analyse n’est pas aisée, les entreprises peuvent également se rapprocher de l’Autorité qui les accompagnera pour identifier les frontières de leur projet au regard des règles de concurrence.

« Pour réussir, tout le monde en Europe devra jouer son rôle – chaque individu, chaque autorité publique. Et cela inclut les autorités chargées de faire respecter la concurrence. »

MARGRETHE VESTAGER
Vice-présidente exécutive de la Commission européenne

Des pratiques considérées comme particulièrement graves

L’Autorité a déjà eu l’occasion d’indiquer que des pratiques qui avaient un impact négatif en termes de développement durable présentaient un caractère particulièrement grave. Dans l’affaire des revêtements de sols, elle a sanctionné les entreprises qui avaient réduit la concurrence sur les performances environnementales de ces produits, en considérant qu’elles avaient ainsi porté une atteinte grave aux intérêts du consommateur, alors que celui-ci se montrait de plus en plus attentif à la dimension environnementale des produits et cherchait à privilégier les produits les plus respectueux de l’environnement.
La gravité d’un comportement peut également résulter de l’exploitation d’un contexte tel que celui de la crise écologique actuelle. C’est un raisonnement du même ordre que l’Autorité avait adopté en 2018, dans une affaire concernant des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de médicaments vétérinaires. Elle y mentionnait, au titre de la gravité de l’infraction, le fait que les distributeurs de médicaments en gros avaient « profité de l’urgence sanitaire liée à la propagation rapide de la FCO et de l’absence d’appel d’offres pour induire sciemment en erreur l’acheteur public sur les véritables coûts logistiques de livraison des vaccins supportés par chacun d’entre eux et ainsi compromettre la bonne utilisation des deniers publics » (Décision 18-D-15 du 26 juillet 2018).
La gravité d’un comportement peut aussi résulter de ce que des objectifs de développement durable servent de prétexte à l’adoption de comportements anticoncurrentiels. L’Autorité réfléchit aussi à la possibilité de nuancer la gravité d’une infraction lorsque le comportement adopté peut avoir une incidence positive en termes de développement durable.

Un accompagnement des acteurs engagés

Si l’Autorité a vocation à jouer pleinement son rôle répressif lorsqu’elle fait face à des comportements défavorables au développement durable qualifiables au titre du droit de la concurrence, elle est également tout à fait disposée à accompagner les comportements vertueux.

Tout comme la Commission européenne, l’Autorité a conscience qu’il n’est pas toujours aisé pour les entreprises de s’assurer que leurs accords ne posent pas de problème sur le terrain du droit de la concurrence. C’est pourquoi elle accompagne les acteurs économiques qui souhaitent obtenir des orientations. Au niveau européen, la vice-présidente exécutive de la Commission européenne Margrethe Vestager a précisé que la Commission examinait comment clarifier ce point dans ses directives sur les accords horizontaux entre concurrents (Interview, Journal général de l’Europe, Green Deal et politique de concurrence).