CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS

S’adapter aux nouvelles réalités économiques

Partager
S’adapter aux nouvelles réalités économiques

Dans un environnement économique complexe, rapide et mondialisé, il est essentiel que les autorités de concurrence actualisent leurs règles afin que les comportements des acteurs économiques ne puissent échapper aux concepts et instruments du droit de la concurrence. Les pistes d’évolution ont été identifiées et la modernisation du contrôle enclenchée, aussi bien à l’échelle nationale qu’européenne. Revue des principales avancées en la matière.

En perpétuelle évolution, le monde économique impose une adaptation des règles de régulation à des enjeux qui n’existaient pas encore au moment où elles ont été créées. Cette rénovation progressive est en cours au niveau national, avec des mesures de simplification et de modernisation des outils français du droit de la concurrence mises en œuvre par l’Autorité. Au niveau européen, le changement d’approche de la Commission, qui accepte désormais que les autorités nationales de concurrence lui renvoient pour examen des opérations de concentration sensibles, y compris sous les seuils, est une avancée majeure, mais il faut également noter la révision en cours de la communication sur la définition des marchés pertinents.

Révision des lignes directrices françaises : clarification, simplification et modernisation

Le 23 juillet 2020, l’Autorité a publié ses nouvelles lignes directrices relatives au contrôle des concentrations, lesquelles se substituent à celles du 4 juillet 2013. Cette publication, qui fait suite à une consultation publique organisée fin 2019, complète un processus de fond de modernisation engagé en 2017.
Ces nouvelles lignes directrices ont pour objectif de fournir aux entreprises et à leurs conseils une présentation pédagogique leur permettant de mieux appréhender le champ d’application du contrôle des concentrations en France, la façon dont se déroule la procédure devant l’Autorité de la concurrence et enfin les objectifs, critères et méthodes employés pour les analyses au fond.

Parmi les nouveautés, il convient de relever :

  • Un élargissement du champ d’application de la procédure simplifiée ;
  • Une mise à jour de la partie consacrée aux infractions procédurales (défaut de notification, réalisation anticipée d’une opération) afin d’y intégrer les avancées récentes de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence ;
  • Une refonte de la partie relative à l’analyse concurrentielle qui met en exergue les principaux critères d’analyse pris en compte par l’Autorité lorsqu’elle examine une opération, sans préjudice de sa nature horizontale, verticale et/ou conglomérale ;
  • Une partie consacrée aux principes applicables aux remèdes (tant procéduraux que structurels) qui expose la démarche de l’Autorité en la matière et sensibilise les entreprises aux considérations à prendre en compte lorsqu’elles proposent des engagements ;
  • L’intégration de la pratique décisionnelle récente et des évolutions jurisprudentielles en matière de non-respect d’engagements, afin de sensibiliser les entreprises sur l’importance du respect des engagements pris devant l’Autorité ;
  • Des annexes enrichies afin d’exposer la méthodologie d’analyse de l’Autorité face à certaines questions récurrentes :
    – appréciation des effets concurrentiels d’une opération sur les marchés locaux dans le commerce de détail ;
    – prise en compte de la pression concurrentielle exercée par les ventes en ligne dans certains secteurs du commerce ;
    – mise à disposition de modèles d’engagement structurel et de modèle de contrat de mandat, à jour des évolutions récentes de la pratique décisionnelle ;
    – précisions sur les demandes de documents internes susceptibles d’être formulées par l’Autorité en cours d’instruction.
S’adapter aux nouvelles réalités économiques

Les lignes directrices intègrent par ailleurs des suggestions issues des contributions à la consultation publique. Elles prennent ainsi en compte le souhait exprimé par les entreprises et leurs conseils de pouvoir formuler une demande de désignation d’une équipe en charge de l’examen du dossier préalablement à la notification de l’opération de concentration. À la suite de cette demande, l’information sera communiquée à la partie notifiante dans un délai de 5 jours ouvrés.

L’Autorité s’engage, en outre, à ce qu’une réponse concernant la complétude des dossiers de notification soit généralement apportée dans un délai de 10 jours ouvrés après la notification. Un délai indicatif de 10 jours ouvrés est aussi introduit pour confirmer si une opération pourra être traitée selon la procédure simplifiée, ce qui confère à la partie notifiante davantage de visibilité pour organiser le calendrier de finalisation de son opération. Enfin, certains aspects de la présentation de l’analyse concurrentielle ont été précisés et adaptés, notamment s’agissant de l’horizon temporel dans lequel se place l’analyse prospective.

Lignes directrices relatives au contrôle des concentrations, 23 juillet 2020

L’objectif des nouvelles lignes directrices : permettre aux entreprises de mieux appréhender le champ d’application du contrôle des concentrations, sa procédure, ses critères.

S’adapter aux nouvelles réalités économiques
CAS DE RENVOI À LA COMMISSION EN VERTU DE L’ARTICLE 22 EN MARS 2021 DANS LE SECTEUR DE LA DÉTECTION DU CANCER (RACHAT DE GRAIL PAR ILLUMINA)

Un contrôle renforcé pour éviter tout angle mort

Changement d’approche de la Commission concernant le renvoi d’opérations

L’article 22 du règlement n°139-2004 du Conseil de l’Union européenne du 20 janvier 2004 permet à une autorité nationale de concurrence de renvoyer à la Commission européenne une opération de concentration qui ne serait pas de dimension européenne, mais qui affecterait le commerce entre États-membres et menacerait d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États-membres qui formulent cette demande. Le règlement n’exige pas que ce ou ces États-membres soient eux-mêmes compétents pour contrôler l’opération en cause. La Commission européenne avait néanmoins recommandé ces dernières années aux États- membres de ne pas faire de demande de renvoi pour une opération ne franchissant pas les seuils de notification au niveau national. Modifiant sa pratique en la matière, à la demande notamment de l’Autorité française, la Commission européenne a annoncé le 11 septembre 2020 qu’elle retirait cette recommandation et qu’elle acceptera désormais des demandes de renvoi présentées par les autorités nationales de concurrence au titre de cet article, y compris lorsque les opérations de concentration en cause ne franchissent les seuils nationaux de notification d’aucun État membre, et ce dès lors que les conditions fixées par cet article sont remplies.

S’adapter aux nouvelles réalités économiques

Découvrir notre webinar sur les renvois de l’article 22 avec Olivier Guersent, Directeur général de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, Angélique de Brousse, responsable juridique senior concurrence EMEA chez Johnson&Johnson et Anne Wachsmann, avocat associé chez Linklaters.

Une évolution majeure pour contrôler les opérations sensibles qui pourraient échapper à un contrôle

L’Autorité se félicite de cette évolution qu’elle avait, à plusieurs reprises, appelée de ses vœux, afin de mieux appréhender le phénomène des acquisitions prédatrices (appelées « killer acquisitions ») ou consolidantes, dites « sous les seuils », susceptibles d’être réalisées par des plateformes numériques, mais aussi par exemple dans le secteur pharmaceutique, des biotechnologies, ou encore dans certains secteurs industriels très concentrés. De tels angles morts peuvent en effet poser problème, notamment en termes de dynamique concurrentielle des marchés ou de maintien des incitations à innover. Il s’agit là d’une avancée majeure pour mieux contrôler des opérations de concentration, notamment celles portant sur des acteurs innovants.

Un risque identifié était que certaines opérations portant sur des acteurs très innovants, qui commencent tout juste à valoriser leur innovation sur le marché, puissent échapper au contrôle des concentrations, la cible ayant un chiffre d’affaires insuffisant pour que les seuils de notification s’appliquent. Le rachat par Facebook d’Instagram ou de WhatsApp a montré l’importance stratégique de telles opérations. Pouvait également s’avérer problématique la possibilité pour une entreprise en position dominante d’acheter ses différents concurrents, de petite taille, sur des marchés déjà concentrés.

Cette évolution de la pratique de la Commission européenne est, par conséquent, une excellente solution, qui contribue à répondre aux préoccupations grandissantes sur le risque que certaines opérations ayant une incidence négative sur la concurrence au sein du marché intérieur puissent échapper au contrôle des autorités de concurrence, et ce alors même parfois qu’elles sont sous examen hors de l’Union européenne comme aux États-Unis par exemple. C’est également une solution rapide car mise en œuvre à droit constant. C’est enfin une solution ciblée : toutes les autres mesures envisageables pour combler ce manque dans le contrôle des concentrations, comme la définition de nouveaux seuils de notification, auraient alourdi bien davantage le contrôle tant pour les entreprises que pour les administrations, ce qui n’aurait pas répondu à l’objectif final d’un contrôle chirurgical sur quelques opérations ayant potentiellement un impact extrêmement important.

L’Autorité a immédiatement mis en place une veille sur les marchés afin de détecter les opérations qui pourraient être soumises à renvoi à la Commission européenne. La Commission a également adopté une communication interprétative afin d’offrir aux entreprises et à leurs conseils le plus de prévisibilité possible, étant précisé que la pratique décisionnelle qui va se construire apportera des clarifications supplémentaires.

Communiqué de presse, 15 septembre 2020

 Olivier Guersent revient sur l’événement en vidéo.

S’adapter aux nouvelles réalités économiques

LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE

Les critères de la jurisprudence pour qu’elle puisse s’appliquer :

  • la disparition à court terme de l’entreprise rachetée ;
  • l’absence d’offre alternative moins dommageable pour la concurrence ;
  • la disparition de la société en difficulté ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée.

Conséquences à venir de la pandémie sur les structures de marché

Une étude de l’OCDE anticipe que « la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19 aura probablement pour conséquence d’accroître le niveau de concentration des marchés, dans la mesure où certaines entreprises connaîtront des difficultés financières et quitteront le marché. Hormis la sortie du marché, la concentration sera la stratégie privilégiée des entreprises qui tenteront d’améliorer leur situation en fusionnant avec des concurrents en meilleure santé. Aussi, les autorités de la concurrence devraient être appelées dans les mois à venir à examiner un nombre croissant de fusions urgentes et critiques, y compris les « concentrations de sauvetage », qui désignent l’acquisition d’entreprises qui risquent de faire faillite. Dans ce contexte, le contrôle des fusions jouera un rôle clé pour empêcher que ces transactions ne portent durablement atteinte aux structures du marché » (Les réponses de la politique de la concurrence de l’OCDE face au Covid-19, 27 avril 2020).

Dans le cas où l’entreprise ciblée aurait disparu du marché en l’absence de fusion, la concentration peut parfois être admise en dépit du pouvoir de marché accru détenu par la nouvelle entité. Aussi, tout l’enjeu est de vérifier minutieusement que l’argument de « l’entreprise défaillante » trouve bien à s’appliquer pour éviter un impact négatif durable sur la structure du marché français concerné.

S’adapter aux nouvelles réalités économiques

Étienne Chantrel

Chef du service des concentrations de l’Autorité de la concurrence

Les délais légaux encadrant le contrôle des concentrations posent de véritables défis en temps de pandémie. Quelles solutions ont été mises en place pour faciliter l’examen des opérations dans ce contexte ?

L’Autorité a une politique constante d’accompagnement des entreprises dans leurs demandes raisonnables et de prise en compte de leurs contraintes. En 2020, les délais légaux et réglementaires fixés notamment aux articles L. 430-5 et L. 430-7 du code de commerce ont été suspendus du 12 mars 2020 au 24 juin 2020. Toutefois, l’Autorité a décidé de tout mettre en œuvre pour maintenir les délais habituels, sans mettre à profit ce décalage des délais légaux et a continué de faire ses meilleurs efforts.
Ainsi, entre le 18 mars 2020 et le 18 mai 2020, 25 concentrations d’entreprises ont été autorisées, dans un délai moyen de 22 jours ouvrés, y compris des opérations de taille significative. Cet effort de célérité a été maintenu tout au long de l’année 2020 malgré les contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire, qui pesaient aussi fortement sur nos équipes.

Quelles grandes tendances observez-vous sur les plans qualitatif et quantitatif cette année ?

En 2020, par rapport aux années précédentes, le nombre de concentrations a baissé globalement suite à la crise : 195 décisions de concentrations contre 270 en 2019. Le profil en cours d’année était très marqué avec un effondrement des notifications entre mars et juin, suivi d’une forte reprise en fin d’année. Pour ce qui est du type d’opérations, on n’observe pas de révolution globale dans le type de dossiers présentés à l’Autorité. L’année 2020 a néanmoins été marquée par un nombre significatif de dossiers, notamment dans le commerce de détail (habillement), concernant des entreprises en difficulté reprises dans le cadre de procédures collectives et ayant ainsi bénéficié d’une dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations.